Plastiques : et si on changeait de stratégie ?

D’après le dernier rapport de l’OCDE « Perspectives mondiales des plastiques »1, en 2060, les sociétés humaines devraient produire et utiliser trois fois plus de plastiques qu’en 2019. Nous consommerons donc plus de 1200 millions de tonnes de plastique chaque année. L’équivalent, sur une population qui sera alors de 10 milliards d’habitants, de 65 sacs en plastique neufs par personne et par jour.

Face aux effets néfastes et déjà bien connus du plastique (émissions de gaz à effet de serre tout au long de son cycle de vie, toxicité́, rejets sauvages, microplastiques…), deux mouvements font l’objet d’adhésion et d’investissements massifs. D’une part, le recyclage, en vue de réaliser des boucles finies et ainsi de limiter les déchets. D’autre part, la recherche de nouvelles matières (notamment sur les bioplastiques) en vue de réduire les nuisances des plastiques qui s’échapperaient malgré tout dans la nature. En somme, le futur qui s’impose à nous est celui d’un monde rempli de plastiques certes, mais de plastiques bio et recyclés.

Déconstruire les mythes plastiques

Soyons clairs : ces mesures sont stratégiquement insuffisantes. Si le recyclage peut permettre de donner une seconde vie aux millions tonnes de déchets produits depuis l’invention du plastique, le considérer comme une solution d’avenir durable est un piège. Le recyclage n’est pas un processus magique mais une opération consommatrice en eau et énergie : deux ressources déjà rares et qui le seront encore plus dans quelques décennies. Les bioplastiques, quant à eux, semblent voués à provoquer d’importantes substitutions d’impact ; en 2060 encore moins qu’hier, il ne sera souhaitable de cultiver un champ pour produire des objets à usage unique. En outre et toujours d’après l’OCDE, ils ne représenteront que 0,5% des plastiques à cette date.

Ainsi, plus que des solutions pragmatiques, le recyclage industriel et les bioplastiques restent des mythes supposés rendre plus digeste un avenir tout plastique que nous n’aurions pas choisi collectivement. Ils sont l’héritage sinistre de sociétés qui ne cessent de procéder à des optimisations techniques de surface pour éviter les transformations de fond. Bref, ces deux dynamiques nous mènent lentement, sûrement et surtout aveuglément vers une impasse.

Plastiques gluants et renoncements collectifs

À l’opposé de cette trajectoire peu réjouissante, une autre voie est possible : celle du renoncement, c’est-à-dire de l’abandon progressif, organisé, circonscrit et démocratique du plastique. Autrement dit, au lieu de se demander comment vivre avec, réorientons nos efforts financiers et scientifiques pour imaginer comment vivre sans.

À première vue, renoncer – même partiellement – aux plastiques peut paraître impossible tant il est aujourd’hui une matière incontournable, “visqueuse” dans laquelle se sont englués nos modes de vie, de production et d’organisation. Support de nos civilisations, le plastique est le troisième matériau le plus fabriqué au monde, derrière le ciment et l’acier2. Aujourd’hui, sans plastique, l’être humain ne sait ni se nourrir, ni se loger, ni se déplacer, ni se soigner, encore moins se divertir.. En effet, comment maintenir le commerce international sans papier bulle et sans palettes filmées ? Comment nourrir la planète sans bâcher les terres agricoles ? Comment s’habiller sans matières synthétiques ? Comment compenser les pertes d’emploi (1,5 millions d’emplois en Europe en 20203) provoquées par la sortie du système plastique ?

Pour répondre à ces problématiques systémiques, il nous faut remettre l’humain au cœur de l’urgence plastique, et en faire une question de société. Un grand inventaire de ce qui nous rend dépendant aux plastiques doit permettre de rendre plus visibles les liens sociaux, les façons de vivre, les pratiques culturelles, les infrastructures et objets, ou encore les chaînes de valeur qui dépendent de cette matière. Forcément longue et complexe, une telle étude est indispensable pour dessiner des chemins de sortie du plastique qui ne sont ni brutaux ni subis, mais au contraire planifiés et soucieux de trouver des mesures justes et attentives aux différents usages du plastique, en particulier ceux des populations précaires qui en vivent directement.

Savoir dévier avant la dérive

Le 1er octobre, l’expédition Plastic Odyssey partira de Marseille pour un long périple autour du monde. Son objectif : documenter et développer des solutions pour réduire l’utilisation du plastique, et valoriser les déchets hérités des décennies précédentes en créant un impact social. A son bord, le projet de recherche Deviations s’est donné comme mission de réunir celles et ceux qui souhaitent penser différemment la question du plastique. Après trois ans d’enquête, l’équipe pourra proposer une série de mesures concrètes et réalistes, à court ou long terme, locales ou globales, en veillant à ne pas stigmatiser les comportements individuels ni ignorer les mécanismes de domination Nord-Sud qui s’exercent sur cette question comme sur d’autres.

Étant données les réalités de l’Anthropocène, la violence des inégalités environnementales et des menaces qui affectent tous les êtres vivants et les milieux, nos conclusions incluront sans doute des propositions de changements radicaux et ambitieux de nos sociétés. Ce virage, le projet Deviations entend le négocier avec intelligence, pragmatisme et souplesse, contre les directions rigides qui mènent droit dans le mur. Face aux défis que nous imposent les plastiques, il est urgent pour nous de changer de paradigme et, à l’image du vivant, de nous adapter pour survivre. Ensemble, designers, ingénieurs ou chercheurs en sciences humaines, citoyens, politiques ou industriels, nous décidons de changer radicalement de stratégie afin de bâtir une société post-plastique.

1 OECD (2022), Global Plastics Outlook: Policy Scenarios to 2060
2 Angèle Préville et Philippe Bolo, « Pollution plastique : une bombe àretardement ? », Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Sénat-Assemblée nationale, rapport n°217, 2020.
3 Plastic : the facts 2020 par Plastic Europe. 1,5 millions d’emplois directs en Europe en 2020.

Signataires

Adeline PIERRAT, Maitresse de conférences et chercheuse en géographie – rudologie, Le Mans Université – Laboratoire ESO CNRS
Alexandre Monnin, Philosophe, Co-auteur du livre « Héritage et Fermeture, Une écologie du démantèlement », ESC Clermont BS / Origens Medialab
Alexandre Mounier, Président, 1 Déchet Par Jour
Arthur Le VAILLANT, Navigateur / Entrepreneur,GENERATION 21
Baptiste Monsaingeon, Socio-anthropologue, Université de Reims Champagne Ardenne
Bénédicte FLORIN, Géographe, Université de Tours
Bruno Dumontet, Directeur, Expédition MED
Capucine Dupuy, Autrice de « Plastic tac tic tac » aux éditions Dargaud, La Plume Qui Écume
Célia RENNESSON, Co-fondatrice et Directrice Générale, Réseau Vrac
Christophe Demarque, Maître de conférences en psychologie sociale, Université d’Aix-Marseille
Claudia CIRELLI, Ingenieure de Recherche, UMR CITERES – Université de Tours
Côme Girschig, Conférencier engagé, Indépendant
Corentin De Chatelperron, Président d’honneur, Low-tech Lab
Deborah Pardo, Présidente co-fondatrice, Earthship Sisters
DIEGO LANDIVAR, Enseignant Chercheur, Origens
Emmanuel Bonnet, Enseignant-chercheur, ESC Clermont BS
Enzo Muttini, Co-fondateur, M. & Mme Recyclage
Estelle Praet, Doctorante en archéologie, University of York
Flore Berlingen, Autrice de Recyclage, le grand enfumage, Editions Rue de l’Echiquier
Garance Thomas, Doctorante en droit des déchets, Sciences po Paris
Géraldine Le Roux, Enseignant-chercheur en anthropologie, Université de Bretagne Occidentale
Guillian GRAVES, Fondateur, designer & CEO »,Agence Big Bang Project & ENSCI
Hervé Flanquart, Sociologue, Professeur en urbanisme et aménagement, Université du littoral Côte d’Opale
Isabelle Hajek, Maître de conférences en sociologie, Université de Strasbourg, SAGE CNRS
Jamie Furniss, Anthropologue, Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain
Jean MOREAU, Co-fondateur & CEO, PHENIX
Jeanne Guien, Chercheuse, travailleuse sociale, non affiliée à l’Université
Joseph Sournac, Fondateur,Sinon Virgule
Julie Baudillon, Directrice,Wings of the Ocean
Lise Nicolas, Co-fondatrice, M. & Mme Recyclage
Mateo Cordier, Maître de conférences en économie, Université de Versailles-St-Quentin-en-Yvelines – Université Paris-Saclay
Matthieu Witvoet, Ecoaventurier et leader du Club Circul’R, Circul’R
Mikaëla Le Meur, Anthropologue, CNE – EHESS Marseille / LAMC – Université libre de Bruxelles
Nathalie GONTARD, Directrice de Recherche, INRAE
Nelly Pons, Auteure d’Océan plastique (Actes Sud, 2020), indépendante
Nicolas Gluzman, Fondateur et président, futurs proches
Philippe Geslin, Ethnologue ancien professeur des universités , Institut d’ethnologie et university of applied sciences western Switzerland, Neuchâtel
Pierrick De Ronne, Président, BIOCOOP
Roland Jourdain, Co-gérant, Kairos / Explore
Santiago Lefebvre, Fondateur et Président, ChangeNOW
Simon Bernard, Fondateur et CEO, Plastic Odyssey
Sophie Vercelletto, Co-gérante, Kairos / Explore
Thibault Lamarque, Président et fondateur, CASTALIE